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Reportage

L’insertion professionnelle des réfugié·e·s d’Ukraine : situation dans le canton de Vaud

Image d'illustration Istock Dan Rentea

Depuis deux ans maintenant, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a éclaté, engendrant un flux migratoire important en provenance d’Ukraine vers d’autres pays. En Suisse, selon les derniers chiffres de la Confédération, près de 65'000 personnes ayant fui l’Ukraine ont été accueillies, bénéficiant du statut de protection S. Dans le canton de Vaud, on dénombre environ 6’000 Ukrainiennes et Ukrainiens, en majorité des femmes.

L’accès au marché du travail suisse représente un défi majeur pour ces réfugié·e·s, principalement en raison du statut provisoire qu’elles·ils possèdent (difficulté de projection), de la barrière linguistique et de la complexité à faire reconnaître leurs diplômes. Cependant, les ressortissant·e·s ukrainien·ne·s possèdent un niveau de formation comparable ou meilleur que le reste de la population issue de la migration. Selon les statistiques du SEM, 39% des titulaires du permis S exerçaient en Ukraine des professions intellectuelles ou scientifiques, 17% des professions intermédiaires et 17% des métiers dans le commerce, la ventes et le service aux particuliers.1

En Suisse, la majorité des réfugié·e·s ukrainien·ne·s ayant trouvé un emploi, travaillent dans des secteurs tels que l’hôtellerie-restauration (22%), actuellement confrontée à une pénurie de personnel, ainsi que dans les domaines de la planification, du conseil et de l’informatique (19%)2. Sur l’ensemble de la Susse toutefois, seul·e·s 22% des réfugié·e·s ukrainien·ne·s ont trouvé un emploi et ce chiffre se situe actuellement à 12% dans le canton de Vaud. Face à cette réalité, la Conseillère fédérale Karin Keller Sutter, ministre des Finances, a annoncé, en novembre passé, son intention d’augmenter le taux d’emploi des réfugié·e·s ukrainien·ne·s à 40% d’ici la fin de l’année, exerçant ainsi une pression supplémentaire sur les cantons.3

Dans le canton de Vaud, c’est principalement l’Etablissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM) qui est chargé de l’assistance financière, ainsi que de l’insertion socio-professionnelle des réfugié·e·s ukrainien·ne·s. Cette mission est menée en étroite collaboration avec divers partenaires, tant étatiques qu'associatifs. À cet égard, un éventail de mesures est mis à la disposition de ces personnes, incluant des cours de français intensifs et semi-intensifs, l'accès à des services de l'Office régional de placement (ORP), des bilans d’orientation et différents types de soutien (reconnaissance de diplôme, accompagnement à l’indépendance, etc..) ainsi que des initiatives de mentorat et de coaching personnalisé. Dans les prochains mois, il est prévu d’étoffer l’offre avec des mesures de placement.

En parallèle, le canton de Vaud a également mis en place des projets pilotes de formation courte dans des métiers menacés par la pénurie de personnel. Un premier projet a été lancé en septembre 2023 dans le secteur de la restauration, en collaboration avec GastroVaud, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) et l’EVAM, afin de former rapidement des aides de cuisine et des agent·e·s d’entretien polyvalent·e·s. D'autres projets similaires sont prévus prochainement dans les secteurs de la construction, de la santé et du photovoltaïque.4

À la suite de l’injonction de la Confédération d’augmenter le taux d’emploi de ce public, en plus des initiatives mentionnées, le canton de Vaud, via l’EVAM, a décidé de rencontrer l’ensemble des personnes actuellement sans emploi, à savoir environ 2’000 personnes ukrainiennes. Un bilan personnel est effectué par le personnel de l’EVAM pour chaque personne, afin de définir la meilleure stratégie d’insertion professionnelle à mettre en œuvre en fonction de son parcours, ses aspirations et ses compétences.

L’atteinte de l’objectif ambitieux de la Confédération reste un défi de taille pour le canton de Vaud. Les initiatives en cours témoignent pourtant d'un engagement continu à trouver des solutions efficaces pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle des réfugié·e·s ukrainien·ne·s. Il est important de reconnaître que la réussite de ces initiatives dépend également de la volonté des employeurs et de la dynamique du tissu économique local à favoriser l'embauche de cette population.

 

L’exemple d’Horizon, une mesure du dispositif de l’EVAM pour les ressortissant·e·s ukrainien·ne·s

Interview d’Adile Gachoud, responsable de la mesure Horizon pour l’OSEO Vaud

Prévue sur une durée de 6 mois, la mesure Horizon est proposée par l’OSEO Vaud, la Fondation Mode d’emploi et la coopérative Démarche, depuis fin 2022. Ce programme offre un accompagnement individuel aux personnes ayant fui l’Ukraine, comprenant des cours intensifs de français et un coaching hebdomadaire visant à favoriser l'insertion professionnelle par le biais d’un bilan de compétences, de la définition d’un projet professionnel et de cours sur la culture et le marché de l’emploi suisses. Les stages, permettant d’augmenter l’employabilité, complètent les outils d’insertion à disposition. 30 personnes sont suivies simultanément par chacun des trois organisateurs de la mesure.

Quels sont les profils des personnes que vous recevez dans la mesure Horizon ?

Environ 86% des participant·e·s de la mesure sont des femmes. Elles ont majoritairement des profils qualifiés. Mais ce terme est cependant à prendre avec des pincettes. En effet, en Ukraine, quasiment tout le monde passe par la voie universitaire. La voie de l’apprentissage, typique du système suisse, n’existe pas en Ukraine. Le niveau universitaire n’est donc pas tout à fait le même que celui en Suisse. Souvent les Ukrainien·ne·s sont formé·e·s dans plusieurs domaines, mais rares sont celles·ceux qui ont ensuite travaillé dans leurs domaines de formation. 83% des participant·e·s de la mesure ont au moins une formation universitaire.

Est-ce que les participant·e·s trouvent facilement du travail en Suisse ?

A fin novembre 2023, la mesure Horizon (sur les trois sites) avait un taux d’emploi de 33% en tenant compte des interruptions et 63% sans les interruptions. Ces taux d’emploi sont réjouissants. La difficulté réside toutefois dans la faible transférabilité des compétences. En effet, pour de nombreux métiers, les attentes en Suisse sont beaucoup plus élevées qu’en Ukraine. Par exemple, une employée de banque n’utilisait pas d’ordinateur pour son travail. Même si les profils sont en général qualifiés, les compétences ne répondent souvent pas aux standards suisses. Pour certains secteurs cependant, les exigences correspondent, mais il s’agit d’une minorité de postes.

Dans quels secteurs trouvent-ils·elles du travail ?

Nous avons listé les principaux métiers dans lesquels nos participantes et participants ont décroché un emploi, il s’agit des métiers suivants : aide de cuisine, agent d’entretien, aide-comptable, réceptionniste, apprenti électricien, vendeur, auxiliaire de l’enfance, assistant en pharmacie, instructeur de fitness, etc.
Les personnes que nous suivons dans le cadre d’Horizon doivent cependant, pour la plupart d’entre elles, rechercher des postes en dessous de leurs qualifications, voire sans rapport avec leurs qualifications, en raison notamment de la langue qu’elles ne maitrisent pas encore parfaitement. Il y a souvent un deuil du projet professionnel initial à faire, ce qui n’est pas évident. Certaines sont capables de le faire et trouvent des postes dans la restauration par exemple ou dans le nettoyage. Les personnes qui sont arrivées plus tard, ont déjà été informées par leurs compatriotes que la recherche d’un travail similaire à ce qu’elles faisaient avant sera compliqué, la déception est donc un peu moins grande.

Quelles sont les opportunités et les défis liés à l’insertion professionnelle de ce public ?

Les personnes ayant fui l’Ukraine sont généralement très rigoureuses, proactives et en quête de l’excellence. La réussite est très ancrée dans leur culture. Ces éléments sont un plus pour les démarches d’insertion professionnelle. Comme déjà évoqué tout-à-l ’heure, leur niveau d’études est également un avantage par rapport à des réfugié·e·s d’autres pays où les études sont moins facilement accessibles. Nous constatons également une grande solidarité entre les personnes, par exemple pour se transmettre des informations utiles sur le fonctionnement de la Suisse via des groupes sur Telegram ou Facebook ou pour garder les enfants des autres.

Concernant les défis, l’apprentissage du français reste le défi le plus important. Et comme déjà mentionné, la faible transférabilité des compétences constitue un obstacle également. Par ailleurs, nous avons été confrontés à des problèmes d’autorisations de travail, qui n’ont pas été validées, en raison de conditions de rémunération non conformes aux barèmes de la branche. Dernièrement, cinq contrats n’ont ainsi pas pu aboutir.

Les employeurs jouent-ils le jeu ?

Oui, dans l’ensemble, les employeurs jouent le jeu. Des contrats à durée indéterminée (CDI) sont même proposés à ce public, malgré cette incertitude de la durée du séjour en Suisse. Les employeurs ne semblent pas fermés à l’idée d’engager des personnes ukrainiennes. De plus, si certains critères sont remplis, une participation au salaire peut être proposée aux employeurs par l’EVAM durant les six premiers mois d’engagement.

Quelles sont leurs perspectives à long terme ?

Une majorité de nos participant·e·s sont des femmes célibataires ou divorcées avec enfants à charge. Bien que certaines nourrissent l'espoir de retourner rapidement en Ukraine, la plupart expriment le désir de demeurer en Suisse, même après la fin du conflit. Dans cette optique, leur insertion sociale et professionnelle revêt, pour elles, une importance capitale.

 

Références

  1. Fiche d’information : évaluation des qualifications professionnelles, SEM, mai 2022
  2. Données sur l’emploi des bénéficiaires du statut de protection S, SEM, juillet 2023
  3. Les réfugiés ukrainiens devront travailler plus pour permettre à la Confédération d’économiser, Blick, février 2024
  4. Isabelle Moret veut faire travailler plus de réfugiés ukrainiens, 24 Heures, février 2024

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